EXPAIRs colloque 2019

 

 

L’accompagnement par les pairs :
enjeux contemporains

Handicap, Maladies chroniques, Santé mentale

 

Colloque à la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne, 14 et 15 novembre 2019

 

 

Le programme

Session plénière - Des citoyens dans une société en changement

Président de session : Baptiste Brossard, Australian National University (Australie)

  • Eléments pour une culture de la participation
    Joëlle Zask, philosophe, université de Provence
  • L’horizon anthropologique des nouvelles politiques sociales
    Jean-Louis Genard, sociologue, université de Mons (Belgique)
Session plénière – De la participation citoyenne à l’accompagnement et le soutien par les pairs

Président de session : Robert Dingwall, Nottingham Trent University (Royaume-Uni)

  • La participation des personnes accompagnées/soignées en France : effets attendus, effets produits
    Marcel Jaeger, sociologue, professeur émérite au CNAM
  • L’accompagnement et le soutien par les pairs : effets de contextes, effets des politiques publiques
    Eve Gardien, Christian Laval, sociologues, université Rennes 2
Session plénière – L’accompagnement et le soutien par les pairs : l'enjeu contemporain de la professionnalisation

Présidente de session : Eve Gardien, Université Rennes 2

  • La professionnalisation de la pair-aidance en santé mentale en France : objectifs et enjeux
    Lise Demailly, sociologue, professeur émérite de l’université de Lille
  • Expériences de professionnalisation du soutien par les pairs : Faut-il professionnaliser l'expérience humaine ? Construire le lien entre expérience vécue et expérience acquise
    Chyrell Bellamy, Ph.D., Maitre de Conférences et directrice des services de soutien par les pairs, Université de Yale, Département de psychiatrie (Etats-Unis)
Et 34 communications en atelier.

L'argumentaire

Depuis les années 1990, le champ français de l’action publique est marqué par la diffusion de ce que Blondiaux (2008) a appelé « un impératif participatif ». Dans de nombreux secteurs de politiques publiques sont apparus des « dispositifs institutionnels, officiellement mis en œuvre par les autorités publiques, à toutes échelles, dans le but d’associer tout ou partie d’un public à un échange de la meilleure qualité possible, afin d’en faire des parties-prenantes du processus décisionnel dans un secteur déterminé d’action publique » (Gourgues, 2013 : 13). Ces dispositifs, s’ils ont tous pour objectif d’atténuer la « double coupure délégative » qui sépare, d’une part, les représentants et représentés, et, d’autre part, les experts et les profanes (Callon, Lascoumes, Barthe, 2001), varient profondément dans leurs modalités (Fung, 2006), qu’il s’agisse de la façon de définir ou de sélectionner le public appelé à participer (désignation de représentants, tirage au sort, auto-sélection, etc.), de la manière dont les débats et le processus de production d’un avis collectif sont organisés (délibération ou négociation ?), et enfin, comme a pu le souligner Arnstein (1969), de l’impact plus ou moins fort de la participation sur la décision finale (simple consultation ou réelle délégation de pouvoir au citoyen ?). Divers dans leurs modalités, ces dispositifs participatifs le sont aussi quant à leurs objectifs : la mise en œuvre de la participation peut constituer une réponse à des enjeux managériaux (améliorer l’efficacité et l’efficience du service public en favorisant l’écoute de l’usager-consommateur) mais aussi politiques (réenchanter un système représentatif abondamment critiqué) ou encore sociaux (renforcer le lien social).

Les politiques publiques des secteurs du sanitaire, du social et du médico-social ne font pas exception à la règle et se sont largement saisies de cette option participative depuis les années 2000. La loi du 2 janvier 2002 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale a institué la participation des personnes à leur projet personnalisé, également au niveau des établissements et services avec la création des Conseils à la Vie Sociale ou de l’enquête de satisfaction. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a établi un cadre réglementaire facilitant le développement du bénévolat au sein des établissements de santé, a impulsé la participation d’associations agréées de personnes malades et d'usagers du système de santé à différentes instances compétentes en matière de santé, a renforcé le rôle des représentants d’usagers dans les conseils d'administration des établissements publics de santé.

Depuis les années 2010, cette orientation participative a pris un nouveau tournant avec l’introduction des pairs dans un ensemble de politiques publiques. Le pair désigne un type d’acteur nouvellement reconnu et légitimé par la puissance publique au nom de ses savoirs expérientiels : expérience de la vie à la rue, expérience de la maladie chronique, expérience des addictions, expérience des situations de handicap, etc. Certains sont mobilisés pour des activités de représentation d’usagers, d’autres pour contribuer à des enseignements ou à la formation professionnelle, d’autres encore pour accompagner ou soutenir leurs pairs. Ce sont à ces derniers que ce colloque s’intéresse.

Concrètement, ces pairs accompagnant ou soutenant leurs pairs sont désignés selon une kyrielle d’intitulés. Parmi les plus connus : pair-aidant, pairémulateur, travailleur pair, médiateur santé pair. Ces pairs-accompagnant ont ainsi été recrutés au sein des équipes pluriprofessionnelles de la politique publique Un Chez Soi d’Abord, s’adressant aux personnes sans-abris. D’autres ont été sollicités pour participer à la Réponse Accompagnée Pour Tous (RAPT) concernant les personnes en situation de handicap, vivant avec une maladie chronique ou un trouble de la santé mentale et leur famille. D’autres encore sont attendus pour rompre la solitude et co-construire des relations solidaires et réciproques au sein des Groupes d’Entraide Mutuelle. Certains sont inscrits dans des dispositifs de santé voire de santé publique pour participer à des programmes d’éducation thérapeutique ou de prévention de la santé, etc.

Suite à cet intérêt manifeste des politiques publiques contemporaines pour les pairs, les pratiques de l’accompagnement et du soutien par les pairs, leurs contextes et les statuts se démultiplient. Caractéristiques fondamentales des relations entre pairs, la symétrie et la réciprocité sont parfois même perdues de vue. Ce n’est pas sans interroger les enjeux sous-tendant cette participation.

Est-ce le développement de la fonction de pair-accompagnant ou bien le déploiement de politiques publiques qui est privilégié (Gardien & Laval, 2018) ? Est-ce une volonté de démocratisation de secteurs d’activité ciblés et d’amélioration des politiques publiques, ou, à l’inverse, est-ce l’ambition d’amener les pairs à cautionner par leur participation les politiques publiques ? S’agit-il de reconnaissance des savoirs expérientiels des pairs et de leur possible contribution à notre société ? Ou encore s’agit-il d’une nouvelle forme d’activation des citoyens ? La finalité de cette participation des pairs est-elle un élargissement des possibilités de soutien et d’accompagnement ? Est-ce un appel à des profanes permettant de limiter les dépenses publiques ? La participation des pairs a-t-elle pour objectif de rendre plus compliantes les populations ciblées par les politiques publiques ? Ou est-ce de normalisation et d’inclusion des pairs-accompagnants par une formation et une professionnalisation ad hoc dont il est question ?

Il s’agira de ne pas faire de faux procès aux pairs-accompagnants en lien avec le contexte sociopolitique contemporain. Pourquoi ?

Tout d’abord car l’organisation et la mise en œuvre de relations d’accompagnement (ou de soutien) par les pairs sont bien antérieures à cette manifestation d’intérêt par les politiques publiques (Gardien, 2017). De nombreux collectifs et individualités se sont engagés dans des relations d’accompagnement et de soutien de leurs pairs, de leur propre initiative, et ce sans lien particulier avec les dispositifs des politiques publiques. Les Alcooliques Anonymes en sont un bon exemple, certains clubs handisports, diverses associations de patients, quelques collectifs autogérés également.

Deuxièmement car « prendre part à » n’équivaut pas « à faire partie de » (Zask, 2011). Autrement dit, il nous faut distinguer plusieurs postures possibles du pair : participer de sa propre initiative à une action collective faisant sens pour soi (Sen, 2010) ; endosser un rôle social dans le cadre d’un dispositif de politique publique conçu et organisé par d’autres ; accepter ou subir une forme d’injonction à la participation ; viser l’émancipation individuelle et collective de soi-même et de ses pairs, et par suite la transformation de l’ordre social (modèle radical selon Bacqué & Biewener, 2013).

Troisièmement car des effets de contextes viennent indéniablement modifier les effets des actions individuelles et/ou collectives portées par les pairs. Ceux-ci peuvent participer dans le cadre d’une action publique où de multiples soutiens et éléments facilitateurs sont apportés et organisés par l’État et d’autres parties prenantes dans la perspective de davantage de justice sociale : dispositifs visant à compenser une inégalité des chances, à aplanir des difficultés à accéder à certaines ressources rares, à réduire le manque d’effectivité de certains droits, etc. (modèle libéral). Les pairs peuvent également participer dans un environnement où chacun doit être l’« entrepreneur de sa propre existence », où la participation relève de l’injonction individuelle et de politiques publiques d’activation (modèle néolibéral) (Bacqué & Biewener, 2013). L’autogestion est encore un autre rapport à l’environnement politique et institutionnel.

Ce colloque a interrogé les enjeux sous-tendant ces multiples formes pratiques de la participation des pairs dans les secteurs de la santé, du social, du médico-social ou encore en autogestion au-delà de leurs frontières. Il s'est donné pour objectif à la fois de les discerner, de les définir et les qualifier, de clarifier leurs conséquences pratiques. Il s’est intéressé également à des études de cas situés à l’international.

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